Extrait de mon Rapport de Stage : Travailler en Chine avec les Chinois.
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Travailler en Chine avec les Chinois
Toutes les observations faites dans cette partie sont très subjectives, et correspondent aux impressions que j’ai à la fin de mon stage. Elles ne sont pas du tout arrêtées, car une seule année (et même beaucoup plus) ne suffit pas pour tirer des conclusions sur un pays et un peuple, et à plus forte raison sur une nation aussi vaste et diversifiée que la Chine. De plus, le fait de résumer rapidement par écrit ces impressions accentue l’aspect réducteur et caricatural de cette partie.
a) Des différences culturelles à respecter pour pouvoir travailler
Pour travailler dans un pays étranger, il faut en comprendre la culture un minimum pour savoir comment se comporter, d’un point de vue professionnel comme d’un point de vue social. En Chine, cet effort est d’autant plus primordial qu’il n’est pas facile de faire des affaires quand on vient de l’extérieur.
En réunion ou en mission, j’avais un œil sur mes collègues de l’AFD, pour comprendre comment travailler pour l’Agence, et un œil sur nos interlocuteurs chinois. Toujours en surnombre, parfois inattentifs et acquiesçant tout le temps, il m’a paru très difficile de tirer des conclusions à la suite d’une réunion. Après une année de stage, j’ai l’impression que les choses avancent au rythme que les Chinois veulent bien leur donner, et qu’une situation qui parait bloquée peut se résoudre très vite, dénouée par des forces que l’on ne saisit pas toujours.
Les déjeuners et les diners m’ont souvent eu l’air plus productifs. Habilités à parler plus directement, nos partenaires chinois expriment alors plus volontiers ce qu’ils pensent de tel projet ou de telle idée, aidés par la tournure festive que prennent les repas. La langue joue alors un rôle primordial : peu de responsables chinois parlent l’anglais. Nos collègues chinois de l’agence deviennent alors particulièrement importants car ils obtiennent des informations que nous n’aurions pu avoir sinon. Sans les cadres locaux, l’AFD ne pourrait certainement pas travailler en Chine.
Attention en revanche à ne jamais froisser personnellement un partenaire chinois. L’un des aspects principaux des affaires (commerciales ou politiques) en Chine est de ne pas « perdre la face ». L’expression est quasiment la même en Mandarin, et est très souvent utilisée pour décrire la nécessité de protéger son honneur.
Une caractéristique assez nette du travail des Chinois est qu’il est basé sur la mémoire, et non sur la synthèse et la comparaison comme en Occident. Ceci est certainement dû à l’éducation : le programme scolaire est extrêmement chargé, constitué de volumes d’informations énormes qui doivent être restituées tels quels, ce qui laisse peu de place à la réflexion. La plupart documents produits par des Chinois que j’ai lus comprennent donc souvent de nombreuses répétitions et peu de synthèses ou de conclusions. Ils contiennent cependant souvent les informations nécessaires, mais il faut du temps pour s’habituer à leur lecture.
Le potentiel de la Chine est évidemment énorme. Le fort sentiment nationaliste qui anime la plupart des Chinois que j’ai pu rencontrer montre qu’ils n’ont aucun doute sur le fait qu’ils sont en passe de devenir une puissance mondiale majeure.
b) Une perception différente pour les Français et pour les Chinois
Nous avons déjà vu que les différences de points de vue entre les deux pays pouvaient mener à des frictions politiques. Nous avons tendance à croire que ces différences ne se situent qu’au niveau politique (les populations seraient toutes d’accord) ou qu’elles sont le fruit d’une asymétrie d’informations (la population chinoise n’a pas accès à toute l’information). En réalité, même à égalité d’information et d’éducation, les deux populations n’interprètent pas les choses de la même façon.
Je prendrai ici l’exemple d’un sondage dont j’ai été responsable à l’agence. L’AFD et le Ministère de l’Economie et des Finances français souhaitaient faire une enquête de perception des institutions des pays dans lesquels l’AFD intervient, et a demandé à toutes les agences de remplir un questionnaire sur ces institutions. A l’agence de Pékin, nous avons rempli ce questionnaire en concertation avec les agents français et les cadres locaux chinois, pour avoir une opinion la plus objective possible. Chargé de synthétiser les résultats, j’ai pu observer que : (i) les Français étaient d’accord entre eux, et les Chinois aussi, alors que (ii) les Français et les Chinois avaient des perceptions très différentes.
Le questionnaire comprenait 205 sujets auxquels il fallait attribuer une note de 0 (très mauvais) à 4 (très bon). Exemples de sujets : « Dans les faits, liberté et légalité des élections », ou « Sécurité des personnes et des biens ». Après synthèse, la moyenne générale rapportée à une note sur 20 est de 14,6/20 pour les collègues chinois contre seulement 11,4/20 pour les collègues français. Faire la part des choses par la suite n’a pas été un exercice facile !
Pourtant, les cadres locaux de l’agence de Pékin ont tous passé au moins un an en France pour leurs études, et lorsque l’on discute avec eux, on se rend compte qu’ils ont toutes les informations disponibles sur les sujets épineux. Mais ils m’ont expliqué qu’au contraire des Français qui ne voient que les aspects encore négatifs de la Chine, ils voient essentiellement les progrès fulgurants que le pays a connu pendant les vingt dernières années, ce qui les pousse à être beaucoup plus optimistes et à ne pas se focaliser sur les aspects moins reluisants.
La population chinoise est consciente des efforts qu’il reste à faire en matière de liberté d’expression et de droits de l’homme, mais elle fait pour l’instant plutôt confiance au Parti Communiste, qui arrive à des résultats très satisfaisants en termes d’amélioration du pouvoir d’achat, d’accès aux services et à l’éducation. Ce dernier n’a d’ailleurs pas pour but de bafouer les libertés, son seul objectif étant de protéger la stabilité du régime et la pérennité de son action. Il a su s’adapter jusqu’à maintenant aux besoins de la population. Il est difficile de prévoir l’avenir du régime chinois, et comment la transition vers un état de droit se fera, mais ce qui est clair, c’est que cette évolution ne pourra venir que du peuple chinois lui-même. Rien n’agace plus les Chinois que les donneurs de leçons occidentaux.
Ce dernier point est renforcé par le fait que les Chinois sont persuadés que dans leur pays les choses ne se font pas, et ne peuvent pas se faire comme ailleurs. Même s’ils savent qu’il est important de récupérer tout ce qui se fait de mieux à l’étranger, ils pensent qu’il faut tout adapter « à la manière chinoise ».
c) Un environnement difficile pour les entreprises étrangères
Les entreprises étrangères arrivent en Chine avec des certitudes qui ne tiennent pas très longtemps. Elles se rendent compte rapidement que le contexte chinois rend leurs concepts inapplicables, avec des volumes dix fois plus importants qu’en Occident et des échéances bien plus courtes. A cela s’ajoutent des régulations concernant les entreprises étrangères qui rendent parfois le marché chinois très difficile d’accès.
Dans les domaines à faible valeur ajoutée, les entreprises occidentales ne sont pas assez compétitives. Sur les marchés à forte valeur ajoutée, le gouvernement chinois souhaite effectuer des transferts technologiques le plus rapidement possible, pour accroitre l’autonomie de la Chine en matière de développement. Les contrats négociés avec les firmes occidentales sont donc souvent très exigeants, et certaines entreprises refusent les conditions imposées.
Au final, le seul moyen efficace pour les entreprises étrangères de s’installer en Chine est via des Joint Ventures (compagnies mixtes), qui leur permettent d’assouplir les régulations, de réduire les couts de production et de main d’œuvre, et de négocier plus facilement avec la partie chinoise grâce aux cadres locaux.